Peu après sa naissance en 2011, l’autorité (tutélaire à l’époque) a institué une curatelle éducative sur l’enfant ; une année plus tard, elle a retiré la garde à la mère et placé l’enfant, d’abord chez sa grand-mère maternelle, puis dans une famille nourricière. La mère et d’autres membres de la famille ont par la suite demandé le remplacement de la curatrice. L’autorité de protection (APEA) a confirmé la curatelle, avec des tâches identiques, mais désigné une autre collaboratrice du même service officiel des curatelles pour l’assumer. Les parents nourriciers, qui s’occupaient de l’enfant depuis plus de deux ans, n’ont pas été entendus.
Seuls les père et mère (avec un lien de filiation juridique, et non seulement biologique, et aux conditions des art. 296 ss CC) peuvent exercer l’autorité parentale sur un enfant. A défaut (notamment en cas de décès des parents juridiques ou de retrait de l’autorité parentale selon l’art. 311 CC), un tuteur est nommé à l’enfant (art. 327a ss CC). En cas de simple retrait du droit de garde, selon l’ancien droit (art. 310 aCC), ou du droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant selon la terminologie nouvelle (art. 310 CC), les père et mère conservent l’autorité parentale, mais celle-ci se trouve privée d’une de ses composantes essentielles. Il appartient à l’APEA, en même temps qu’elle statue sur ce retrait, de décider du placement de l’enfant dans une famille d’accueil ou dans une institution. En l’absence de décision de retrait, le ou les parents sont eux aussi habilités, en vertu de leur droit de déterminer le lieu de résidence de l’enfant, à décider eux-mêmes, volontairement, de le confier à des parents nourriciers ou à une institution.
En vertu de l’Ordonnance sur le placement d’enfants (OPE, RS 211.222.338), adoptée sur la base de l’art. 316 CC, les parents ou l’institution d’accueil doivent en principe être titulaires d’une autorisation de placement (dès que le placement dure plus d’un mois contre rémunération, plus de trois mois sans rémunération, ou qu’il intervient dans des situations de crise, art. 4 al. 1 OPE) ; l’Ordonnance règle dans le détail les conditions matérielles et formelles de son octroi. L’art. 1a OPE prend pour sa part expressément en compte les intérêts de l’enfant : il prévoit que le premier critère à considérer lors de l'octroi ou du retrait d'une autorisation et dans l'exercice de la surveillance est le bien de l'enfant. L’APEA est en outre tenue de veiller à ce que l'enfant placé soit informé de ses droits, en particulier procéduraux, en fonction de son âge, qu’il se voie attribuer une personne de confiance à laquelle il peut s'adresser en cas de question ou de problème et qu’il soit associé à toutes les décisions déterminantes pour son existence en fonction de son âge. L’OPE ne dit en revanche rien de plus du statut et des droits et obligations des parents nourriciers.
Le Code civil ne comporte que quelques dispositions éparses à ce sujet :
• l’art. 294 CC prévoit que les parents nourriciers ont droit à une rémunération équitable, à moins que le contraire n’ait été convenu ou ne résulte des circonstances ; la gratuité est présumée pour l’accueil d’enfants de proches parents et en vue d’adoption. En cas d’accueil d’un enfant dans le cadre d’une adoption internationale, que celle-ci soit ou non soumise au régime de la Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale (CLaH 93 [RS 0.211.221.311]), les parents nourriciers sont tenus d’une véritable obligation d’entretien en vertu de l’art. 20 al. 1 LF-CLaH (RS 211.221.31);
• l’art. 331 CC leur confère l’autorité domestique sur l’enfant (avec les droits et obligations qui en résultent selon l’art. 332 CC et la responsabilité éventuelle prévue à l’art. 333 CC) ;
• l’art. 273 al. 2 CC indique que l’APEA peut rappeler les parents nourriciers à leurs devoirs en cas de difficultés dans l’exercice du droit aux relations pesrsonnelles ; elle doit aussi prendre les mesures de protection nécessaires (art. 307 al. 2 CC) en cas de mise en danger du bien de l’enfant dans ce cadre nourricier (avec une compétence locale au lieu de résidence des parents d’accueil, art. 315 al. 2 CC) ;
La loi tient néanmoins compte du rôle essentiel que les parents nourriciers jouent dans la prise en charge de l’enfant sur trois points :
• en leur conférant le droit de représenter les père et mère dans l’exercice de l’autorité parentale, dans la mesure où cela est indiqué pour leur permettre d’accomplir correctement leur tâche (art. 300 al. 1 CC) : sauf instructions contraires (des parents ou de l’autorité), ce sont eux qui décident des soins et de l’éducation quotidiens de l’enfant, qui choisissent le lieu, la manière et les personnes avec qui l’enfant passe son temps libre, ses vacances, ses week-ends, qui le représentent pour les actes ordinaires de la vie, etc. (ATF 128 III 9, c. 4b) ;
• en tenant compte du fait que l’enfant aura peut-être vécu longtemps chez des parents nourriciers, pour interdire aux père et mère de le reprendre s’il existe une menace sérieuse que son développement soit compromis (art. 310 al. 3 CC). C’est une forme spécifique de retrait du droit de déterminer le lieu de résidence (pour les critères : ATF 111 II 119, c. 4 et 5 ; Arrêt du TF 5C.28/2007 du 3 avril 2007, c. 2.2 ; Arrêt du TF 5A_620/2012 du 29 octobre 2012, c. 2.1/2.2 ; Arrêt du TF 5A_473/2013 du 6 août 2013, c. 6 ; Arrêt du TF 5A_736/2014 du 8 janvier 2015, c. 3.3 ; Arrêt du TF 5A_88/2015 du 5 juin 2015, c. 4.3.1) ;
• en leur octroyant le droit d’être entendus avant toute décision importante (art. 300 al. 2 CC).
C’est sur ce dernier point que porte l’ATF 143 III 65.
• Dans un premier temps (c. 3), le Tribunal fédéral examine les rapports entre l’art. 300 al. 2 CC et le droit général d’être entendu de l’art. 29 Cst. féd. Il juge que les parents nourriciers (en vertu de leur pouvoir de représentation de l’enfant déduit de l’art. 300 al. 1 CC) ont bien la qualité de parties au sens de l’art. 29 al. 2 Cst. féd. dans la procédure concernant l’enfant placé et jouissent en principe du droit d’être entendus. Toutefois, si le droit constitutionnel est parfois repris par d’autres dispositions du droit fédéral avec une portée à l’identique (par ex. art. 53 al. 1 CPC, art. 29 PA) – voire avec une portée plus large (art. 447 al. 1 CC) –, dans le cas d’espèce, l’art. 300 al. 2 CC aurait au contraire pour effet de limiter le droit constitutionnel d’être entendu, puisqu’il ne peut être exercé que par rapport à des « décisions importantes ». Cette restriction lie le Tribunal fédéral en vertu de l’art. 190 Cst. féd., même si la disposition constitutionnelle doit naturellement être prise en compte dans le cadre de l’interprétation de la loi.
Cette approche est critiquable. Le droit d’être entendu visé à l’art. 300 al. 2 CC (introduit pendant les travaux parlementaires) n’a pas une portée principalement procédurale : il s’agit d’abord d’éviter que les père et mère, qui demeurent titulaires de l’autorité parentale, prennent des décisions préjudiciables ou à tout le moins précipitées pour l’enfant (par ex. en matière de formation professionnelle ou de soins médicaux, ou – en cas de placement volontaire – en « reprenant » l’enfant), parfois sans avoir connaissance de faits importants pour l’enfant (cf. aussi BO 1975 N 1784, BARCHI : « L'article 300 concerne les parents nourriciers. C'est un nouveau principe qui est entré dans le code civil, les parents nourriciers ne faisant que représenter les véritables parents dans l'exercice de l'autorité parentale. Celle-ci reste en principe confiée aux parents véritables. Partant, nous avons reconnu la nécessité de prévoir, au 2e alinéa, l'obligation d'entendre les parents nourriciers avant toute décision importante concernant l'enfant »).
La disposition vise bien sûr aussi à respecter la personnalité des parents nourriciers, qui se sont investis dans la prise en charge de l’enfant. Mais elle prend tout son sens à la lumière du bien de l’enfant : il est en effet essentiel que l’avis de toutes les personnes de référence significatives pour celui-ci soit pris en compte avant toute décision importante, tout particulièrement si l’on a affaire à un enfant qui a dû être protégé d’une situation dangereuse pour lui par un placement d’autorité. Si le droit de l’art. 300 al. 2 CC doit aussi être respecté par les autorités, cela ne signifie pas pour autant qu’il vienne limiter les dispositions (en particulier l’art. 29 al. 2 Cst. féd.) qui ont pour objet prioritaire les droits procéduraux des parties.
• Dans un deuxième temps (c. 4), le Tribunal fédéral aborde la notion de décision importante (wichtige Entscheidung, decisione importante). Le caractère important de la décision dépend de l’ensemble des circonstances du cas. La doctrine mentionne comme exemples la fin du rapport nourricier ou la réglementation des droits parentaux. En fonction du rapport que l’enfant entretient avec le curateur et de l’importance que celui-ci joue dans le système éducatif mis en place, son remplacement pourrait constituer une décision importante au sens de la loi. Mais tel n’est normalement pas le cas du remplacement d’un curateur officiel par un autre curateur officiel, car celui-ci n’a pas de lien de proximité avec la famille de l’enfant. Que les parents nourriciers aient entretenu une collaboration étroite avec la précédente curatrice ou que le changement ait été provoqué par la mère de l’enfant et ses proches ne serait pas pertinent selon le Tribunal fédéral.
Les parents nourriciers jouent un rôle fondamental dans la prise en charge de l’enfant et devraient être largement impliqués dans les décisions concernant l’enfant, ce qui suppose une interprétation large de l’art. 300 al. 2 CC. Il en va également du respect de leur personnalité et de la reconnaissance de leur investissement pour le bien de l’enfant (ici l’enfant était placée chez eux depuis plus de 2 ans). Or cet engagement s’est naturellement fait en étroite collaboration avec la curatrice éducative (dans une logique de réseau). La distinction faite entre un curateur qui serait un proche et un curateur officiel ne se justifie pas dans ces conditions : ils ont les mêmes tâches et jouent le même rôle important dans le système global de prise en charge de l’enfant. Cette « permutabilité » des curateurs officiels que semble défendre l’Arrêt est également contraire à la nouvelle approche introduite par l’art. 400 al. 1 CC (qui doit s’appliquer par analogie, ou via le détour de l’art. 314 al. 1 CC, aux curatelles de mineurs également) : tout mandat de curatelle est attribué à titre personnel à une personne physique spécifique et il n’est plus possible de le confier à un service ou à un chef de service, comme cela se faisait régulièrement en Suisse romande avant 2013. Le lien de confiance nécessaire se noue dès lors avec une collaboratrice ou un collaborateur du service en particulier et tout changement de personne, surtout s’il intervient après un temps long comme ici, a un impact évident sur l’enfant et son entourage.
• On signalera toutefois une forme de « lot de consolation » dont les parents nourriciers ont bénéficié dans l’Arrêt : bien que leur ayant dénié le droit d’être entendus, le Tribunal fédéral a examiné si la décision était suffisamment motivée (c. 5) et s’est finalement penché sur le fond de l’affaire (c. 6), en examinant si le fait de libérer l’ancienne curatrice de ses fonctions était bien justifié au regard de l’art. 423 CC (il a considéré que oui, en raison d’une grave rupture de confiance entre la mère de l’enfant et la curatrice jusqu’alors en place).
• Dans le cas d’espèce, les parents nourriciers avaient naturellement demandé à être entendus. Le Tribunal fédéral n’a donc pas eu à revenir sur le c. 4 de son Arrêt 5A_473/2013 du 6 août 2013. Avec un renvoi fort peu convaincant à l’Arrêt 5C.176/2002 du 8 novembre 2002, c. 4 (dans lequel il relevait simplement que l’auteur invoqué, Cyril HEGNAUER, défendait sur le point litigieux des positions différentes dans deux de ses ouvrages), il y jugeait que l’art. 300 al. 2 CC octroyait un simple droit aux parents nourriciers, mais n’imposait pas à l’autorité saisie une obligation de les entendre (étant précisé que d’autres parties à la procédure pouvaient solliciter leur audition). A la lumière de la maxime inquisitoire applicable en matière de protection de l’enfant (art. 446 al. 1 CC, par renvoi de l’art. 314 al. 1 CC), une telle approche paraît fort contestable lorsqu’il en va justement de décisions importantes.