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Acte constitutif d'une fondation et Réglement du conseil de fondation
Action en paiement d’entretien de l’enfant majeur
Action en modification du jugement de divorce
Action en partage de la copropriété
Action en contestation de décisions de la communauté des copropriétaires par étages
Deux époux concluent en 2015 un contrat de mariage et un pacte successoral au terme desquels ils attribuent le bénéfice matrimonial au conjoint survivant et ils s’instituent réciproquement comme héritiers uniques.
Au décès du mari, sa fille requiert le bénéfice d’inventaire auprès de l’autorité compétente de première instance, sans attaquer formellement les dispositions prises par son père. La fille recourt au Tribunal fédéral contre le refus de l’autorité de première instance d’ordonner le bénéfice d’inventaire. Elle met en avant le fait qu’elle aurait un intérêt digne de protection de requérir le bénéfice d’inventaire afin de connaître la substance de la succession et ainsi examiner l’opportunité d’intenter une action en réduction. Ensuite en lui refusant la qualité de requérir le bénéfice d’inventaire, l’autorité de première instance aurait commis une inégalité de traitement entre la veuve, héritière instituée et elle-même héritière légale.
Le Tribunal fédéral déboute la fille de ses conclusions. Tout d’abord, il estime que le bénéfice d’inventaire n’est pas essentiel pour que la fille se détermine sur l’opportunité d’attaquer les dispositions testamentaires. Ensuite, tant que les dispositions testamentaires ne sont pas attaquées, seule la veuve a la qualité d’héritière à l’exclusion de la fille. Dès lors, il n’y a pas d’inégalité de traitement d’accorder le bénéfice d’inventaire à la veuve, héritière instituée, et de le refuser à la fille qui n’a pas la qualité d’héritière.
Dans ce présent éclairage, nous nous proposons tout d’abord de rappeler les principes qui régissent le bénéfice d’inventaire (II), ensuite les droits de l’héritier réservataire (III) et l’opportunité pour un héritier réservataire écarté de la succession de demander un bénéfice d’inventaire (IV) pour finalement conclure (V).
Le bénéfice d’inventaire permet au successeur universel du défunt, héritier légal ou institué, voire appelé en cas de substitution vulgaire ou fideicommissaire1 , de limiter sa responsabilité aux dettes inventoriés2 , ainsi que de se faire une idée de l’état de l’actif de la succession au jour du décès.
Dès lors, seul l’héritier légal ou institué qui vient à la succession, et qui acquiert l’universalité de la succession (art. 560 CC), a la qualité pour requérir le bénéfice d’inventaire, à l’exclusion de l’héritier légal qui se voit écarté de la succession par le défunt, ou par pacte de renonciation, l’héritier indigne, le légataire, le débiteur ou le créancier de la succession, ainsi que l’exécuteur testamentaire3.
La requête doit être faite dans le mois (art. 580 al. 2 CC). Il s’agit d’un délai de péremption4 . Ce délai commence à courir pour les héritiers légaux dès qu’ils ont connaissance du décès ; pour les héritiers institués dès qu’ils ont connaissance de la disposition pour cause de mort en leur faveur et de leur qualité d’héritier5 .
Quant à l’héritier réservataire, si la disposition pour cause de mort ne fait que le réduire à sa réserve légale, le délai commence à courir dès qu’il a connaissance du décès dans la mesure où la disposition pour cause de mort ne modifie en rien sa situation au regard du but visé par le bénéfice d’inventaire. En revanche, si la disposition pour cause de mort favorise un héritier légal par rapport à sa part légale, le délai commencera à courir dès qu’il aura connaissance de la disposition pour cause de mort6 .
Demeure réservée la prolongation de délai, voire la restitution du délai pour de justes motifs (art. 576 CC par analogie) ; question laissée ouverte par le Tribunal fédéral et controversée en doctrine7 dans la mesure où doit être pris en compte l’intérêt des créanciers8 .
Le bénéfice d’inventaire doit tenir compte de l’ensemble du patrimoine du défunt, soit de ses actifs et passifs au jour du décès, en tenant compte notamment de la liquidation du régime matrimonial, soit de la créance du conjoint ou du partenaire enregistré9 . L’inventaire devrait mentionner la date valeur d’estimation10 . La valeur vénale au jour de l’établissement de l’inventaire devrait être la valeur retenue lors de l’établissement de l’inventaire11 .
Dès la clôture de l’inventaire par l’autorité compétente, chaque héritier est sommé par écrit de prendre parti dans un délai d’un mois (art. 587 al. 1 CC). Le délai d’un mois commence à courir dès la réception du bénéfice d’inventaire par l’héritier12 . Demeure réservée une prorogation de délai si les circonstances le justifient (art. 587 al. 2 CC).
L’héritier a le choix de répudier la succession, de demander la liquidation officielle, d’accepter la succession sous bénéfice d’inventaire ou d’accepter purement ou simplement la succession (art. 588 al. 1 CC). Si l’héritier accepte la succession sous bénéfice d’inventaire, il répond des dettes inventoriées (art. 589 al. 1 CC). En revanche, il est saisi de tous les actifs de la succession, inventoriés ou pas. Par ailleurs, l’héritier répond sur l’ensemble de son patrimoine personnel des dettes inventoriées (art. 589 al. 3 CC), à l’exclusion des dettes non produites fautivement qui s’éteignent (art. 590 al. 1 CC). Demeure réservé la responsabilité de l’héritier à concurrence de son enrichissement (art. 590 al. 2 CC) ou pour les créances garanties par gage (art. 590 al. 3 CC).
L’art. 470 al. 1 CC désigne les héritiers réservataires en droit suisse, savoir les descendants du défunt, ses père et mère ainsi que le conjoint ou le partenaire enregistré, alors que l’art. 471 CC précise les quotes-parts de ces derniers. Par ailleurs, l’héritier réservataire est tenu de recevoir le montant de sa réserve en propriété13, soit en pleine propriété, ou grevée d’un usufruit, dont la valeur capitalisée ne dépasserait pas la quotité disponible (art. 530 CC), sous réserve de l’usufruit en faveur du conjoint survivant, opposable aux enfants communs (art. 473 al. 1 CC). Le montant de la réserve ne peut, par ailleurs, être grevé ni de charge ni de condition ni limité dans son administration14.
Dans les limites du respect du montant de la réserve légale, le défunt est ainsi libre de supprimer à un héritier réservataire la qualité d’héritier ainsi que les droits inhérents, savoir : la qualité de membre de la communauté héréditaire et le droit de participer au partage successoral15 . Le défunt peut également imposer à l’héritier réservataire des règles de partage (art. 608 CC).
Demeure réservé le devoir d’information, qui ne peut pas être supprimé à l’héritier réservataire16. En effet, tant l’art. 607 al. 3 CC que l’art. 610 al. 2 CC prévoient un devoir d’information mutuel entre héritiers. Le Tribunal fédéral a par ailleurs admis le droit de l’héritier de se renseigner quant au patrimoine du défunt auprès des partenaires contractuels de ce dernier, ou auprès du tiers détenteur de tout ou partie de la succession17.
L’héritier réservataire exclu de la succession ne fait pas partie de l’hoirie et ne participe pas à la gestion du patrimoine successoral. Le jugement de l’action en réduction est formateur. Ainsi, dès l’entrée en vigueur du jugement, l’héritier réservataire exclu de la succession acquiert ses droits et devient rétroactivement héritier18.
La réserve est protégée uniquement en valeur. La qualité d’héritier n’est pas protégée. Ainsi, si le montant de la réserve a été attribué sous forme de legs ou de libéralité entre vifs, le réservataire ne peut pas prétendre à la qualité d’héritier19. L’action tend donc à la restitution d’une somme d’argent correspondant à la valeur de la réduction20.
Demeure réservée la liberté laissée aux conjoints de répartir le bénéfice matrimonial selon une clé de répartition convenue entre eux. Ainsi, selon l’art. 216 al. 1 CC, les époux, par contrat de mariage, peuvent parfaitement convenir que la totalité du bénéfice matrimonial reviendra au conjoint survivant en cas de décès de l’époux. Une telle convention est opposable aux héritiers réservataires, à l’exception des descendants non communs (art. 216 al. 2 CC a contrario). Elle permet ainsi de léser conventionnellement la valeur économique de la réserve légale des descendants communs, des père et mère. Elle ne modifie toutefois pas la qualité d’héritier de la personne qui pourrait économiquement être lésée par une telle disposition. Cette dernière demeure héritière dans la succession de l’époux décédé. Seule une disposition pour cause de mort l’écartant expressément de la succession pourrait la priver de sa qualité d’héritière.
Le bénéfice d’inventaire a pour but de protéger un héritier d’une succession insolvable21 en lui permettant d’accepter purement et simplement la succession, d’accepter la succession sous bénéfice d’inventaire, de demander une liquidation officielle de la succession, ou de la répudier en pleine connaissance de cause (art. 588 al. 1 CC).
Dès lors, le bénéfice d’inventaire ne peut pas être requis par un héritier réservataire écarté de la succession tant qu’une action en réduction n’a pas abouti en sa faveur. En effet, tant que le jugement n’est pas entré en force, la personne écartée de la succession n’est pas héritière22 , n’acquiert pas les droits et obligations du défunt (art. 560 CC), et n’a donc aucun intérêt digne de protection de demander un bénéfice d’inventaire pour savoir si la succession est insolvable.
Par ailleurs, cette personne ne pourrait pas intervenir à la clôture du bénéfice d’inventaire pour accepter sous bénéfice d’inventaire, répudier ou demander la liquidation officielle dans la mesure où il ne lui est reconnu aucun droit dans la succession.
Demeure réservé le droit à l’information qui est reconnu à tout héritier réservataire, même écarté de la succession23 , qui lui est nécessaire pour décider de l’opportunité d’intenter une action en réduction (art. 522 ss CC).
Nous approuvons donc cet arrêt du Tribunal fédéral qui ne reconnaît pas la légitimité de requérir un bénéfice d’inventaire à l’héritier réservataire écarté de la succession. Le Tribunal fédéral a ainsi clairement distingué les droits inhérents à la qualité d’héritier de ceux relatifs à la réserve légale, sans procéder, selon nous, à aucune inégalité de traitement, et sans supprimer à l’héritier réservataire écarté de la succession son droit à l’information.
Il y a lieu de remarquer que dans le cas qui était soumis au Tribunal fédéral, la suppression de la qualité d’héritier ne provenait pas du contrat de mariage signé entre les époux attribuant le bénéfice matrimonial au conjoint survivant, mais du pacte successoral, signé parallèlement entre les époux, s’instituant mutuellement seuls héritiers. Le praticien doit en être conscient et ne pas oublier de jumeler le contrat de mariage prévoyant l’attribution du bénéfice matrimonial au conjoint survivant toujours avec des dispositions pour cause de mort instituant le conjoint survivant seul héritier afin de faciliter le règlement de la succession.
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