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Acte constitutif d'une fondation et Réglement du conseil de fondation
Action en paiement d’entretien de l’enfant majeur
Action en modification du jugement de divorce
Action en partage de la copropriété
Action en contestation de décisions de la communauté des copropriétaires par étages
Le 1er arrêt du Tribunal fédéral du 9 janvier 2017 concerne la succession d’un défunt qui a légué un bien à son épouse, en précisant que ledit immeuble devait être restitué à sa fille au moment du décès de son épouse. Au moment du partage, le bien immobilier est attribué à la valeur vénale au jour du partage à la veuve qui doit verser une soulte à la succession dans la mesure où la valeur vénale de l’immeuble dépasse les droits successoraux de la veuve. A son décès, la veuve transmet le bien immobilier à une tierce personne sans tenir compte de la substitution fidéicommissaire auquelle elle est tenue.
Le 2e arrêt du Tribunal fédéral du 18 janvier 2017 concerne la succession d’un défunt qui laisse pour seuls héritiers réservataires une veuve et deux enfants issus de cette union. Au terme d’un testament, le défunt lègue notamment deux biens à sa veuve qui doivent, au décès de cette dernière, être restitués à l’un de ses enfants. Cette substitution fideicommissaire lèse clairement la réserve légale de la veuve. Cette dernière ne s’y oppose toutefois pas. Néanmoins, au moment du décès de la veuve, son second fils s’oppose à l’application de la substitution fideicommissaire.
Dans ces deux arrêts, le Tribunal fédéral s’intéresse à la substitution fidéicommissaire (art. 488 ss CC) au regard du devoir de restitution du grevé et de la protection de la réserve légale de ce dernier. Dans ce présent éclairage, nous nous proposons tout d’abord de rappeler les principes qui régissent la substitution fidéicommissaire (II), ensuite d’analyser tant le devoir de restitution du grevé (III) que la protection de sa réserve légale (IV) pour finalement conclure (V).
La substitution fidéicommissaire (art. 488 CC) permet au défunt de désigner deux successeurs (héritier ou légataire) ; le premier successeur est désigné grevé, alors que le second est l’appelé1. Les deux acquièrent la succession du défunt, même si l’appelé entre en possession de la succession à l’échéance de la charge de substitution (art. 492 al. 1 CC) et non pas au décès du de cujus2. « La situation du grevé est à cet égard proche de celle d’un usufruitier ; elle s’en distingue cependant car le grevé est propriétaire des biens, répond des dettes successorales et conserve les biens en cas de prédécès de l’appelé. »3.La substitution fidéicommissaire peut porter tant sur une institution d’héritier que sur un legs.
L’art. 488 al. 2 CC interdit la substitution au second degré. Cette disposition est de droit impératif4. Elle « laisse malgré tout une large place à l’esprit créateur du de cujus. Il n’empêche pas de léguer l’usufruit de la part du grevé, ce qui permet pratiquement de favoriser successivement trois personnes. Il n’interdit pas non plus au de cujus de fixer l’ouverture de la substitution à un moment plus lointain que le décès probable du grevé, avec la conséquence que les héritiers du grevé profitent des biens dans l’intervalle. »5. Le moment de la substitution peut être le décès du grevé, ou un autre terme, voire une condition, prévus par le de cujus6. La durée maximale admise par la doctrine est de 100 ans7.
Le grevé devient propriétaire de la succession à son ouverture (art. 491 al. 1 CC). S’il ne peut pas venir à la succession (prédécès, répudiation, indignité), il est substitué par l’appelé, sauf disposition contraire du défunt (art. 492 al. 3 CC). Son acquisition est soumise à une condition résolutoire : l’échéance de la charge de substitution8. Dans une certaine mesure, le rapport entre le grevé et l’appelé peut être analogue au rapport entre l’usufruitier et le nu-propriétaire9. A cette échéance, l’appelé succède au de cujus, et non pas au grevé, et devient héritier de plein droit10. Il devient ainsi propriétaire de la succession, répond des dettes de la succession, et peut exercer toutes les prérogatives prévues aux art. 566 à 597 CC, y compris répudier la succession11.
Avant l’ouverture de la substitution, le grevé peut librement administrer le patrimoine objet de la substitution. Il peut en disposer dans les limites de son devoir de restitution à l’ouverture de la substitution. Ainsi, « le grevé peut valablement disposer des biens chaque fois que cela est exigé par une bonne gestion de la succession (par exemple, il réalise des biens pour payer des dettes ou financer des travaux nécessaires de rénovation). Le grevé peut aussi disposer des biens consomptibles, à charge pour lui d’en restituer la valeur (art. 772 CC). »12. Demeure réservée la substitution fidéicommissaire réduite au solde dans laquelle le défunt limite le devoir de restitution du grevé à ce qui reste dans la succession13.
Avant l’ouverture de la substitution, l’appelé ne jouit donc que d’expectative14. Pour protéger cette expectative et s’assurer que le grevé respectera son devoir de restitution, plusieurs moyens sont mis à disposition par le code civil.
Tout d’abord, à l’ouverture de la succession, un inventaire est ordonné (art. 490 al. 1 CC), à titre conservatoire, qui est impératif tant dans le cadre d’une substitution fidéicommissaire ordinaire que dans le cadre d’une substitution réduite au solde15. Ensuite, sous réserve de la substitution fidéicommissaire réduite au solde, des sûretés peuvent être demandées au grevé (art. 760 al. 1 CC), sauf dispense expresse du défunt. Par ailleurs, si le grevé ne fournit pas les sûretés demandées, ou compromet les expectatives de l’appelé, une administration d’office est ordonnée (art. 490 al. 3 et 554 al. 1 ch. 4 CC). Finalement, en matière immobilière, afin de se protéger du tiers de bonne foi et d’un éventuel acte de disposition injustifié du grevé, une restriction du droit d’aliéner peut être annoté au Registre foncier (art. 960 al. 1 ch. 3 CC).
Dans son arrêt du 9 janvier 201716, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de rappeler que l’héritier grevé doit restituer ce qu’il reçoit dans la succession en pourcentage et non pas ce qui lui est attribué moyennant le paiement d’une soulte. Ainsi, confronté à une veuve, grevée d’une substitution fidéicommissaire, qui s’est vu, dans le cadre du partage successoral, attribué un bien immobilier moyennant le paiement d’une soulte à ses cohéritiers, le Tribunal fédéral a estimé que seule la part, en pourcentage, de la valeur de l’immeuble correspondant aux droits successoraux de la grevée pouvait faire l’objet de restitution, dans la mesure où le solde de la valeur de l’immeuble avait été acquitté par l’héritière moyennant le paiement d’une soulte. Nous ne pouvons qu’approuver cette jurisprudence.
La substitution fidéicommissaire peut être imposée au grevé dans les limites de sa réserve légale (art. 531 CC). Demeure réservé l’art. 492a CC. Cette disposition « crée une substitution fidéicommissaire spéciale en permettant au disposant, parent d’un descendant durablement incapable de discernement, d’ordonner une substitution fidéicommissaire pour le surplus, soit de tout ce que laissera son fils ou sa fille à son propre décès de la succession du parent »17. Cette substitution fidéicommissaire spéciale s’étend tant à la quotité disponible qu’à la réserve légale du descendant incapable de discernement (art. 531, 2ème phrase CC)18. Elle est toutefois soumise à des conditions très strictes19.
Tout d’abord, le grevé doit être un descendant, à l’exclusion du conjoint, ou du partenaire enregistré20, au contraire de l’appelé qui peut être désigné librement par le disposant21. Le descendant doit par ailleurs être incapable de discernement durablement. Tel est le cas si le retour de la capacité de discernement n’est pas envisageable22. Cette incapacité doit exister tant « au décès du disposant qu’au moment où il a adopté la disposition pour cause de mort »23, mais également au moment du décès du grevé24. Finalement, le grevé ne doit avoir ni descendant ni conjoint ou partenaire enregistré, et ne doit pas lui-même avoir disposé pour cause de mort25.
Ainsi, dans les limites de l’art. 492a CC, l’héritier réservataire doit pouvoir librement disposer et transmettre sa part réservataire. Dès lors, à l’ouverture de la succession du défunt, il y a lieu de clairement distinguer le patrimoine transmis par le défunt à l’héritier grevé d’une substitution fidéicommissaire, et celui dont l’héritier peut librement disposer et transmettre26.
Dans ce second arrêt du 18 janvier 201727, le Tribunal fédéral a confirmé que la substitution fidéicommissaire ne pouvait pas grever la réserve légale et que même si l’héritier réservataire grevé ne faisait pas valoir sa réserve légale envers l’appelé, cette renonciation valait libéralité entre vifs qui pouvait être réduite (art. 527 CC) dans le cadre de la succession du grevé. La réserve légale reste ainsi un pilier du droit successoral suisse qui ne saurait être lésée dans le cadre d’une substitution fidéicommissaire suisse. Une fois encore, nous approuvons la jurisprudence du Tribunal fédéral.
Avec ces deux arrêts, le Tribunal fédéral nous montre que la substitution fidéicommissaire est un instrument juridique complexe. Il est important de distinguer le patrimoine grevé de substitution fidéicommissaire, qui doit être nécessairement restitué à l’appelé, de la réserve légale de l’héritier qui ne peut être grevée d’une substitution fidéicommissaire, même avec l’accord du grevé.
Le praticien doit être conscient de la difficulté de la substitution fidéicommissaire non seulement au moment où il conseille le testateur dans la rédaction de son testament, mais également au moment où il procède au partage successoral et met en place la substitution fidéicommissaire, afin d’éviter tout conflit entre le grevé, voire ses héritiers, et l’appelé.
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